La pratique est courante en Suisse alémanique. A leur tour, les jeunes Romands découvrent les joies de l'école en forêt. Terrain de jeu à l'infini,
initiation à la nature au fil des saisons, éveil des sens, renforcement de la motricité, la forêt est un lieu d'apprentissage et d'enchantement inépuisable. Nous avons suivi une classe de
petits Fribourgeois dans les bois...
Dès 7°, l'école se déroule en forêt
Elle se dit heureuse d'avoir pu réunir ses deux passions: l'éducation et la nature. En quelque vingt ans de métier, Michaela Weber a gardé le feu sacré. Et
c'est tant mieux pour la trentaine d'enfants inscrits à Atelier Nature, à Corserey, un village à 15 km de Fribourg. Ouverte en 2004, son école privée a la particularité de se dérouler en
forêt. Par tous les temps? «Dès qu'il fait 7 degrés, on y va. Sauf en cas de mauvaise météo, grosse pluie, vent tempétueux, pour des raisons de sécurité.» Sinon, un appartement clair et
spacieux, avec de grandes baies vitrées d'où l'on voit les vaches dans le pré et le Moléson, a été aménagé en salle de classe. Lorsqu'elle reste à l'intérieur, l'enseignante rappelle,
complète, développe la matière vue en forêt. Dedans ou dehors, l'horaire des cours est identique: de 9 h à 14 h, repas inclus.
Stimulation des sens au naturel
Par cette belle matinée de printemps, les enfants ont donc rendez-vous à l'orée du bois, à cinq minutes en voiture du village. Après quelques mots échangés avec
les parents, la maîtresse et ses jeunes protégés, ce jour-là quatre filles et six garçons âgés de 3 à 6 ans, s'enfoncent dans les bois en direction de la cabane.
Le chemin, même s'il est connu, reste propice aux découvertes. Romain repère un trou dans la terre. L'enseignante invite ses camarades à venir observer le
terrier des taupes, puis donne des explications sur son fonctionnement. «Je laisse les enfants faire un maximum de découvertes par eux-mêmes, et ensuite, je leur apporte mes connaissances.
Leur curiosité est toujours en éveil», s'enthousiasme Michaela, adepte de la pédagogie Montessori. Plus loin, elle stoppe le groupe pour le rendre attentif au chant d'un coucou, ou lui
montrer du plantain, «la plante magique qui calme les piqûres d'orties». La nature est un lieu d'apprentissage inépuisable. Observer une fourmi, sentir le parfum poivré de l'épicéa, poser ses
pieds sur la mousse, écouter un oiseau, goûter des baies (seulement avec l'autorisation de l'enseignant), tous les sens sont stimulés de façon naturelle, alors qu'en classe, l'enfant est
plongé dans un environnement qui le surstimule.
La salle de classe? Une cabane circulaire faite de branchages
Après une dizaine de minutes de marche, les enfants arrivent à l'endroit qui leur est réservé, où tout a été pensé, sécurisé. Au centre se trouve une cabane
circulaire, faite de branchages et recouverte d'une bâche, construite par les parents, les enfants et le garde-forestier. Ce canapé forestier permet aux enfants de s'abriter en cas
d'intempéries, d'être au calme pour écouter une histoire. A l'extérieur, Michaela accroche un sac-poubelle pour les déchets qui ne finissent pas au compost, aménagé un peu plus loin, tout
comme des toilettes sèches. L'emplacement comprend également tables et tabourets en rondins, taille XXS. Au fil des mois, les petits ont bricolé quelques constructions, comme cette cabane de
l'amitié, ainsi baptisée par une fillette. On les sent attentifs à leur environnement, soucieux de le préserver. Un lien émotionnel se tisse avec la nature. Robin, qui a renversé son jus de
fruit lors du goûter, se demande si «ça pollue la terre».
La première demi-heure est dévolue au jeu libre, lequel permet des expériences dirigées par l'enfant sans l'impulsion de l'adulte. Ils doivent toutefois
respecter des consignes strictes, dont celle de rester dans un périmètre visible par le maître. Gweltaz saisit aussitôt un bâton qu'il imagine être une épée. «J'aime beaucoup jouer à la
forêt», glisse le petit malicieux. Bardane, elle, cueille des anémones. Les benjamins de l'équipe, Mira et Luc, préfèrent écouter l'histoire racontée par Audrina, l'assistante socioéducative.
Place ensuite à des activités collectives, comme le chant. Michaela a composé la chanson du millepertuis, du myosotis, de l'aspérule. La matinée en forêt a aussi ses rituels, telle la
préparation du bois pour faire le feu, l'autre épluche les légumes pour la soupe qui complétera sandwiches et grillades. A chacun de choisir selon ses envies, mais tous participent aux
activités. Selon l'âge, les intérêts diffèrent. Soulignons qu'Atelier Nature mêle écoles maternelle et enfantine. «Ce mélange des âges, prôné par la pédagogie Montessori, suscite de
l'entraide plutôt que de la compétition entre les enfants», relève la Fribourgeoise.
L'arbre magique
La forêt est un univers propice au déploiement de l'imaginaire. Le groupe s'est trouvé un arbre magique auquel chacun peut venir confier ses secrets. Il y aussi
ces petits cailloux qu'on peut serrer pour se donner de la force. «Par la nature, on parvient à soigner des blessures de l'âme», glisse Michaela. La nature, c'est également un vaste entrepôt
de matériel pédagogique dans lequel il suffit de puiser au fil des saisons. Bourgeons, baies, plantes, papillons, insectes ou renard, tout y est. On y trouve aussi de quoi compter, calculer,
écrire: «Les gosses adorent écrire avec du charbon de bois sur l'écorce des arbres, dessiner avec des pierres.» L'enfant développe sa créativité. De son côté, l'enseignant doit se montrer
flexible, savoir s'adapter aux impulsions de la nature. Un oiseau mort sur le chemin pourra susciter beaucoup d'émotion et d'interrogations qui nécessiteront une explication sur-lechamp,
quitte à oublier un peu le programme initial prévu.
Michaela Weber est enchantée qu'Atelier Nature ait été officiellement reconnu par l'instruction publique et le Service de l'enfance et de la jeunesse du canton
de Fribourg, et tout récemment par l'Association Montessori Suisse. Ses activités proposées en forêt cadrent parfaitement avec la méthode. Dans la pédagogie Montessori, l'apprentissage de
l'autonomie, de la confiance en soi, de la concentration est étroitement lié au développement de la motricité. «Dans tout ce qu'on fait, le mouvement est présent. La vie n'estelle d'ailleurs
pas toujours en mouvement? C'est ce qui rend cette école si vivante!»
Interview
«Dans la nature, l'enfant est face à des objets concrets, des situations réelles. Tous ses sens sont sollicités et pas seulement son intellect. Enfin, il entretient une relation
émotionnelle avec elle.»
Sarah Wauquiez est enseignante et psychologue. Spécialiste de la pédagogie par la nature, la Fribourgeoise forme adultes et enseignants à cette discipline. Dans le cadre de l'association A
l'aire libre, elle anime, près de Fribourg, un groupe de jeu en forêt destiné aux 3 à 5 ans.
Entretien avec une passionnée de nature depuis l'enfance, Aussi auteurE dU petit livre novateur, Les enfants des bois.
Quelle est l'origine des écoles dans la nature?
Les crèches et jardins d'enfants dans la nature sont apparus au Danemark et en Suède dans les années 50. L'Etat avait promis à tout enfant âgé de 1 à 10 ans un endroit
d'accueil extrafamilial. Comme il n'était pas possible de construire si vite crèches et garderies, les professionnels de la petite enfance ont créé des places d'accueil à l'extérieur, dans la
nature. Ce n'est donc pas pour des raisons pédagogiques. Aujourd'hui, il en existe plusieurs centaines au Danemark et en Suède, 15% des classes élémentaires se font en plein air.
Et en Suisse?
En Suisse alémanique, on estime que deux cents à trois cents jardins d'enfants se déroulent dans la nature, en forêt ou dans une ferme. En Romandie, une vingtaine. Quant aux écoles
enfantines, qui ont lieu dans la nature par tous les temps, on en compte une dizaine, dans les cantons de Bâle, Zurich et Saint-Gall. Ce sont des écoles privées. En Romandie, aucune enquête
n'a été menée à ce sujet. Je sais que dans les écoles Steiner, les sorties hebdomadaires, avec les classes enfantines et primaires, se font depuis une dizaine d'années.
Donnez-nous trois arguments pour convaincre les parents des bienfaits de cette pédagogie par la nature.
L'école en forêt favorise le développement moteur de l'enfant. Il peut se dépenser, bouger. A cet âge, c'est un grand besoin. Mais il peut aussi se retirer au calme, et n'est pas exposé tout
le temps au bruit de la classe, parfois insupportable. Ensuite, le processus d'apprentissage est différent. Dans la nature, l'enfant est face à des objets concrets, des situations réelles.
Tous ses sens sont sollicités et pas seulement son intellect. Enfin, il entretient une relation émotionnelle avec la nature. C'est une étape nécessaire pour développer plus tard un
comportement respectueux et responsable de l'environnement.
Et les bienfaits sur la santé?
Certains parents disent que le système immunitaire des enfants est renforcé. Ils acquièrent aussi plus d'endurance. Les enfants marchent mieux, plus longtemps.
L'état d'un enfant hyperactif peut-il s'améliorer?
Il peut courir, crier, bouger sans déranger personne. Entre quatre murs, il se sent toujours limité. Les maîtresses ont constaté que la forêt permet à certains enfants de mettre en avant des
qualités peu valorisées en salle de classe. Comme, par exemple, la force physique, un sens de l'entraide plus développé. Le rôle de l'enfant au sein du groupe peut changer. Les meneurs ne
sont pas forcément les mêmes à l'intérieur et à l'extérieur.
Comment sensibilisez-vous vos filles à la nature?
Avec la petite, qui a 13 mois, on sort chaque jour. A cet âge, c'est assez limité. Mon aînée, 3 ans, a rejoint le groupe de nature à la rentrée. Elle reprend à la maison des situations qui la
préoccupent, ou alors, elle me remet à l'ordre quand je n'applique pas chez nous les règles données dans le groupe de jeu. En forêt, par exemple, quand on cueille une fleur, on demande à la
plante si elle accepte de venir dans le bouquet. C'est une façon respectueuse de faire, qui évite à l'enfant de tout raser. Dans notre jardin, je ne pose pas forcément la
question...
Article rédigé par Marie-Françoise Macchi
Source: magazine Babybook Enfant (numéro 4 paru en mai
2011)